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Le monde romain n'avait pas pour adversaire que les Barbares. Il était menacé, de l'intérieur, par les chrétiens, qui niaient toute divinité à l'empereur et prêchaient la révolte contre les "idoles".

La doctrine nouvelle, venue d'Orient, avait gagné, assez lentement, la Gaule. Pourtant, dès 177, une première communauté chrétienne existait à Lyon. Comme la civilisation romaine, le christianisme allait d'abord s'installer en Gaule par les villes.

Longtemps les empereurs ont persécuté les chrétiens. Les Gaulois n'échappaient pas à cette politique de terreur. Pothin, Attale et Ponticos avaient été martyrisés à la Croix-Rousse. Un évêché s'était créé dans la clandestinité. Les persécutions s'étaient poursuivies pendant tout le IIIè siècle, à Lyon et dans les autres villes de Gaule: Saturnin avait été supplicié à Tououse, Symphorien à Autun. Mais bientôt chaque ville eut son évêque clandestin. Au début du IVè siècle, on en comptait une vingtaine en Gaule: à Paris, Tours, Reims, Marseille, Carbone,Arles, Limoges, Toulouse, Clermont...

Brusquement, Constantin se convertit au christianisme. Les persécutions cessèrent aussitôt. Le christianisme, devenu religion officielle ("sous ce signe tu vaincras"), était l'auxiliaire du pouvoir politique, de la puissance impériale. Les évêques sortaient de l'ombre et s'installaient au coeur des cités. Les Gaulois trouvaient des chefs spirituels. Les Césars encourageaient la multiplication des évêchés, même aux frontières, dans le Nord et dans l'Est.

Restaient les campagnes. En vain les évangélisateurs comme Martin essayaient-ils de convertir les paysans des pagi. Ceux-ci considéraient le christianisme comme une nouvelle religion de Rome, ils restaient fidèles à leurs dieux des sources et des champs. Ils restaient "païens".

Non seulement la religion nouvelle avait du mal à gagner les campagnes, mais elle était exposée, dans les villes, à tous les dangers de déviation. Les grands évêques gaulois, Irénée et surtout Hilaire, avaient le plus grand mal à protéger la doctrine romaine contre les interprétations locales ou étrangères: Hilaire de Poitiers avait résisté, non sans mérite, à une hérésie venue d'Orient, l'arianisme, qui avait séduit le propre fils de Constantin le grand, Constance II.

Ami d'Hilaire de Poitiers, l'ancien officier Martin avait compris que le christianisme, pour s'imposer, pour se démarquer des anciens cultes et des perversions diverses, devait approfondir sa spiritualité. Il avait importé en Gaule une invention de l'Orient: le monachisme. Les hommes renonçaient au monde pour se retirer, en moines, dans la retraite et la prière. Le succès de cette entreprise fut immense en terre celtique. L'évêque de Tours avait fondé le monastère de Ligugé. Des ermites inconnus, Cassien, Honorat, fondaient des règles et se retiraient dans les déserts. La règle de Cassien, en 420, était la première du genre en Occident.

L'Église de Gaule, au IVè siècle, était une création de l'État constantinien. On avait fondé presque autant d'évêchés que de cités. L'évêque, très naturellement, s'installait au chef-lieu de la cité. Il était souvent issu de la société locale. Quelquefois même il était marié, avant de devenir évêque, comme cet Urbicus, évêque d'Auvergne, dont parle Grégoire de Tours. Ancien sénateur converti, il avait dû congédier sa femme pour se livrer à son ministère. Celle-ci ne l'entendait pas de cette oreille:

"Jusqu'à quand dormiras-tu, évêque, lui criait-elle en frappant la nuit à sa porte... Pourquoi méprises-tu ta femme?"

La dame avait mis tant d'insistance dans sa démarche, que le nouvel évêque la fit entrer, et consomma le péché.

"Gémissant du crime qu'il avait commis, ajoute Grégoire de Tours, il se retira dans le monastère de son diocèse pour y faire pénitence... De son péché naquit une fille qui se voua à la vie religieuse."

Sans doute les évêques avaient-ils du mal, comme tous les nouveaux convertis, à renoncer à leur vie antérieure. Ils avaient appris, avec les bonnes manières, les belles-lettres - précieuse formation car ils devaient savoir lire et écrire le latin. Ils constituaient une nouvelle élite.

L'évêque choisissait les prêtres et les envoyait officier dans les campagnes, où ils multipliaient les chapelles grâce à l'appui des clarissimes. Si les dieux des bornes et des bois restaient en place, les évangélisateurs parvenaient à vaincre la méfiance de Celtes du vieux pays. Martin de Tours réussissaient à évangéliser le Centre, et Victrice, de Rouen, les provinces de l'Est. Le cheminement de la religion nouvelle fut à la campagne lent, mais sûr.

Les évêchés les plus développés, les plus puissants étaient en Gaule ceux de Lyon, de Trêves, d'Arles et de Vienne. Désormais, à côté des représentants civils et militaires de l'empereur, les cités avaient un chef spirituel, à la tête d'une hiérarchie qui s'organisait. Quand les autres hiérarchies s'écrouleraient, celle-là resterait en place.

Reposant encore, à la fin du IVè siècle, sur des minorités, mais puissamment encouragé par l'État Romain et par les notables gallo-romains, le christianisme risquait de devenir une religion officielle, soumise au pouvoir. L'écroulement de l'Empire le préservera de ce danger en lui confiant, au sein de chacun des royaumes barbares, une fonction politique et sociale essentielle.